Les opérations de construction qui sont par nature sources de dommages, génèrent de multiples litiges ; malgré la mise en place d’une réglementation contraignante sur l’assurance des constructeurs, de nombreux sinistres ne sont pas indemnisés par les entreprises d’assurance, entraînant de facto une aggravation des risques de mises en cause de la responsabilité des intermédiaires. Au fil du temps, les reproches formulés à l’encontre de l’intermédiaire évoluent mais ce contentieux reste toujours important. Il concerne d’une manière récurrente les obligations de conseil et d’information, la délivrance d’attestations de garantie, le co-courtage tandis que, plus récemment, de nouveaux litiges sont apparus portant essentiellement sur la souscription de contrats auprès de compagnies étrangères.Ce sont ces différentes situations que nous allons examiner.

Les litiges relevant de mises en cause récurrentes

Défaut de conseil

L’assurance construction est un domaine très encadré par des lois, ordonnances et autres règles juridiques dont la bonne connaissance par les intermédiaires en assurances, lors de la souscription d’un contrat, va déterminer la qualité du conseil qu’ils devront donner. Toute évolution ou modification de la législation en la matière ne devrait donc pas être ignorée par les intermédiaires en assurances.

Exemple N°1 : Une société avait souscrit, en 1994,un contrat de «RC exploitation avant et après travaux » et un contrat de «RC décennale des entreprises réalisant des travaux de bâtiment» auprès d’une compagnie d’assurances française par l’intermédiaire de son agent général. En 2005, ces garanties sont fusionnées dans un seul et unique contrat pour lequel l’assuré reçoit une attestation d’assurance. Cette société voit ultérieurement sa responsabilité civile mise en cause dans le cadre de travaux de réalisation d’un parking pour lesquels elle était titulaire des lots « peinture – ravalement – signalétique » et « sol en résine ». Ce chantier ayant été réceptionné avec réserves, la société déclare un sinistre à son assureur. La compagnie refuse de prendre en charge ce sinistre au motif que les garanties de RC décennale ne peuvent trouver application.
L’ouvrage litigieux consiste en la réalisation d’un parking pour une collectivité. Il s’agit d’un ouvrage de génie civil pour lequel la société n’a pas souscrit de garantie spécifique. La société reproche alors à l’agent général un défaut d’information, de conseil et de mise en garde en ce qu’il n’a pas attiré son attention sur le fait que les ouvrages de bâtiment doivent être distingués des ouvrages de génie civil et ce, depuis une ordonnance du 5 juin 2005.
Lors de la souscription d’un contrat de RC décennale à la demande d’une société dont les activités laissent présumer qu’elle réalise ou peut réaliser des ouvrages relevant des activités de génie civil (présentation des activités de la société sur son papier à en-tête, extrait Kbis, marché de travaux…), il convient de proposer la souscription des extensions de garanties adéquates.

Exemple N°2 : Depuis 2006 un artisan du bâtiment est uniquement assuré par un contrat de RC professionnelle pour ses activités telles qu’indiquées sur son papier à en-tête à savoir « rénovation – maçonnerie générale » et ce par l’intermédiaire d’un courtier. En 2010, cet artisan a effectué des travaux de maçonnerie sur une maison d’habitation.
En 2011, le courtier reçoit une déclaration de sinistre émanant directement du tiers compte tenu de malfaçons relevées sur les travaux réalisés, demandant la mise en jeu de la garantie décennale souscrite par l’artisan. Or, cette garantie n’avait jamais été souscrite. Le courtier indique qu’il a conseillé à plusieurs reprises à son client de souscrire une garantie de RC décennale, ce qu’il a toujours refusé mais aucun écrit ne permet de le prouver.
Les garanties de RC décennale étant obligatoires, l’intermédiaire aurait dû informer son client sur l’existence de cette obligation. En cas de refus de souscription de sa part, le courtier aurait dû le notifier par écrit sur la fiche conseil.

Attestations de garantie

Les litiges relatifs aux attestations de garantie naissent souvent du fait que ces documents peuvent créer à l’égard des tiers, à qui ils ont vocation à être remis, une apparence de garantie qui, soit en réalité n’existe pas, ou bien dans des conditions contractuelles différentes.
L’attestation mal rédigée par rapport aux dispositions du contrat ou rédigée alors qu’aucun contrat n’existe, sera un facteur de mise en cause de la responsabilité civile professionnelle de l’intermédiaire en assurances.

Exemple N°1 : Un agent général a délivré tous les ans une attestation d’assurance sur la police de RC décennale de son client, entrepreneur. Sur ces attestations, les activités déclarées et garanties avaient été copiées-collées d’une année sur l’autre. Or, elles ne correspondaient pas à celles figurant sur le contrat d’assurance. Les clients de l’entrepreneur, en possession de ces attestations, victimes de désordres relevant des activités figurant bien sur les attestations, ont été trompés sur la nature des activités réellement couvertes par le contrat.

Exemple N°2 : La délivrance d’une attestation « dommages- ouvrage » par un courtier indiquant que le maître d’ouvrage était assuré par une police « dommages-ouvrage » en cours d’établissement sans numéro de contrat peut engager la RC de l’intermédiaire d’assurances pour toute la durée de la garantie décennale. En effet, la compagnie n’avait pas donné suite à la demande de souscription. Cette mention apposée sur l’attestation pour indiquer qu’aucun contrat n’est encore établi n’est pas suffisamment explicite à l’égard du tiers.
Aucune attestation de garantie ne doit être établie avant que le contrat soit édité et signé ou au moins que la compagnie ait donné son accord écrit sur la souscription du contrat.
L’attestation remise, destinée à des tiers qui ne connaissent pas le contrat d’assurance conclu, doit correspondre point par point aux dispositions contractuelles.

Co-courtage

Placer un risque en co-courtage induit, pour l’intermédiaire en relation directe avec le client, certaines obligations de vérification, qui en cas de non respect, peuvent conduire à la recherche de sa responsabilité civile professionnelle.

Exemple : Une société de construction de bâtiments s’est rapprochée d’un courtier en vue de la souscription de garanties RC, RC décennale, Dommages-ouvrage et TRC. Ce courtier s’est alors adressé à un courtier spécialisé qui, après versement d’un premier acompte, lui a remis des attestations d’assurance sur son papier à en-tête. Le client n’obtenant pas son contrat d’assurance a assigné le courtier direct. Il s’est alors avéré que le courtier spécialisé, en liquidation amiable, n’avait jamais rétrocédé les primes à l’assureur et qu’aucun contrat n’avait été souscrit.
Le courtier direct a été condamné pour manquement à son obligation de conseil pour avoir mis en relation son client avec un courtier qui se faisait passer pour l’assureur, sans vérifier au préalable la qualité de celui-ci.
L’intermédiaire direct, qui souhaite travailler en co-courtage, doit vérifier l’identité et la qualité du co-courtier en recherchant notamment s’il remplit les obligations légales et règlementaires mises à sa charge en tant qu’intermédiaire en assurances (inscription à l’ORIAS, attestation de RC professionnelle et de GF, solvabilité, étendue des mandats qui peuvent lui être confiés par les assureurs auprès desquels il place les risques…) et ce, sous peine de mise en cause de sa RC.

Les litiges dus à la souscription de contrats auprès d’assureurs étrangers opérant en France en libre prestation de services (LPS)

La concentration du marché des assureurs construction en France depuis quelques années ainsi que l’augmentation d’entreprises étrangères de construction qui interviennent sur des chantiers situés sur le territoire hexagonal, ont favorisé l’arrivée de compagnies qui peuvent avoir leur Siège social en Grande-Bretagne, en Irlande, au Danemark, en Lituanie ou bien à Gibraltar.
Certaines de ces compagnies opèrent en direct, mais parfois par l’intermédiaire de courtiers qui eux-mêmes ont leur siège social dans un autre pays de l’Espace Économique Européen et exercent en LPS multipliant ainsi les intervenants tant au niveau de la souscription et de la gestion des contrats, qu’au moment de la gestion des sinistres.
Pour mémoire, il convient de rappeler brièvement quelles sont les règles qui diffèrent entre les assureurs construction qui ont leur siège social en France et ceux qui exercent en LPS. Pour intervenir sur le marché français, l’entreprise d’assurance exerçant en LPS, c’est-à-dire qui couvre à partir de son siège social situé dans un État partie à l’accord sur l’Espace Économique Européen, un risque situé dans un autre de ces États, doit obtenir un agrément qui lui est délivré par l’État dans lequel elle a son siège social.
Ceci étant, les normes financières prudentielles applicables à cette entreprise d’assurance sont celles de son pays d’origine et non pas celles de la France.
Par ailleurs, le dispositif du Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages (article L. 421-1 du Code des Assurances) qui permet de protéger les personnes assurées contre la défaillance des entreprises d’assurance ne bénéficie pas aux entreprises étrangères puisque celles-ci ne sont pas soumises au contrôle de l’État français (article L. 421-9 du Code des Assurances).
Enfin, la plupart de ces compagnies étrangères n’adhèrent pas à la Convention de Règlement de l’Assurance Construction (CRAC) qui rend opposable à l’ensemble des assureurs de RC Décennale, la matérialité des désordres et le montant des dommages déterminé par l’expert nommé dans le cadre d’une expertise unique.
C’est donc dans un tel cadre que les intermédiaires d’assurances peuvent voir leur responsabilité civile professionnelle recherchée.

Défaillance de l’assureur étranger

La garantie pendant une durée de 10 ans de ces assurances, notamment en cas de responsabilité des constructeurs, justifie que l’intermédiaire d’assurances s’interroge sur la pérennité de l’assureur qu’il va proposer à son client et sur l’existence de cet assureur sur le marché lorsqu’un éventuel sinistre surviendra et ce jusqu’à l’expiration de la période de garantie.
Les normes prudentielles étant différentes, il peut y avoir un risque accru de défaillance et il appartiendra à l’intermédiaire de justifier qu’il a bien rempli les obligations lui incombant au titre de l’article L. 520-1 du Code des Assurances. C’est pourquoi en cas de sinistre non pris en charge ou de défaillance de cet assureur étranger, l’intermédiaire devra être en mesure d’indiquer les raisons qui ont motivé le conseil fourni à son client quant au choix de cette compagnie. Il devra également justifier les critères qui lui ont permis de recommander cet assureur et pour quelle raison il a fait courir ce risque à son client alors même qu’il existe une procédure de placement auprès du Bureau Commun de Tarification.

Intervenants multiples

Le manque de lisibilité sur le rôle respectif des intervenants à l’opération d’assurance peut conduire à l’assignation des intermédiaires d’assurances en lieu et place des compagnies étrangères réellement concernées.
De même, un assuré domicilié en France peut préférer, pour des raisons de facilité procédurale, assigner en justice son interlocuteur direct (en l’occurrence l’intermédiaire en assurances), plutôt qu’une compagnie étrangère, quand bien même le contrat d’Assurance qu’il a signé le lie à cette compagnie et non pas au courtier.

Exemple N°1 : Une société maître d’ouvrage a fait construire un immeuble collectif et souscrit un contrat dommages-ouvrage par l’intermédiaire d’un courtier français qui lui-même s’est adressé à un mandataire, exerçant en France, d’une compagnie irlandaise. À la suite de la constatation de diverses malfaçons, le syndicat des copropriétaires a assigné le maître d’ouvrage, le maître d’oeuvre, et l’architecte sans toutefois assigner la compagnie et son représentant en France. L’avocat du maître d’ouvrage a fait valoir que l’attestation émise par le courtier sur son papier à en-tête ne mentionnait que le nom du mandataire de la compagnie et non celui de la compagnie elle-même et que par conséquent ce document n’étant pas suffisamment précis, il avait dû assigner parallèlement le courtier français pour connaître très précisément l’identité de l’assureur générant ainsi des frais de procédure pour son client; ce dernier réclamait à ce titre la condamnation du courtier français à lui verser des dommages-intérêts.

Exemple N°2 :Un agent général ne pouvant placer un risque auprès de sa compagnie mandante s’est adressé à un courtier qui lui-même s’est rapproché d’un courtier spécialisé travaillant en LPS plaçant ainsi le risque « dommages-ouvrage » auprès d’une compagnie ayant son siège social en Grande-Bretagne.
A la suite d’un sinistre, l’agent général s’est chargé de transmettre la déclaration au courtier français ; la déclaration de sinistre a bien, semble-t-il, été transmise au représentant de la compagnie agissant en LPS, mais les intermédiaires n’ont jamais pu avoir d’explications sur l’absence de suivi de cette déclaration de sinistre et sur la position de la compagnie. L’assuré n’a pourtant assigné que l’agent général avec lequel il était en contact direct.
Au travers de ces deux exemples, on comprend bien qu’en cas de difficulté c’est la responsabilité de l’intermédiaire en contact avec le client qui sera recherchée.

Respect par l’assureur étranger de la procédure d’agrément

L’absence de vérification par l’intermédiaire d’assurances français, de l’agrément dont doit bénéficier la compagnie étrangère pour exercer sur le marché français, peut donner lieu à la mise en cause de la responsabilité de cet intermédiaire.

Exemple : Dans le cadre de la construction d’un lotissement, le promoteur est intervenu auprès d’un courtier afin d’obtenir la garantie de parfait achèvement des travaux. Celui-ci s’est adressé à un courtier intermédiaire agréé des Lloyd’s qui lui-même s’est adressé à un broker qui s’est chargé de placer le risque.
Lorsque le contrat d’assurance a été transmis au notaire chargé des ventes en l’état futur d’achèvement, ce dernier a fait valoir que la rédaction de certaines clauses n’était pas conforme aux exigences légales et a demandé de ce fait, qu’il soit justifié que le garant était bien un établissement habilité à garantir ce type d’opération.
Il s’est avéré en réalité que cette compagnie n’était pas une compagnie européenne et qu’elle avait fait une demande d’agrément via l’une de ses filiales mais qu’elle était en attente d’une réponse. Le notaire a refusé d’accepter cette compagnie et le courtier a été assigné en restitution de la prime et des frais financiers engagés compte tenu de l’absence de couverture d’assurance obligatoire.

Ces difficultés, liées à la souscription d’assurances obligatoires et spécifiques dépourvues de règlementation européenne uniformisée, ont été mises en exergue dès les années 80-90 dans le cadre d’une tentative d’harmonisation des législations nationales existantes. La conclusion de l’époque fut celle de l’impossibilité d’unifier les diverses règles juridiques concernant la responsabilité et l’assurance des constructeurs et autres acteurs de la construction du fait d’une trop grande diversité des méthodes appliquées sur chaque territoire.
Fin 2008, après de longues années d’inertie et face à une Europe désormais composée de 27 états membres, une étude baptisée ELIOS (European Liability Insurance Organisation Schemes), lancée à l’initiative de la commission européenne sur approbation du Parlement européen, a conduit à une recommandation portant création d’une agence européenne de l’assurance construction destinée à répondre à toutes les interrogations soulevées en la matière.
Le monde européen de la construction commence à bouger…