Faut-il se méfier de l’assurance de groupe ?

S’il est courant pour l’intermédiaire en assurance de proposer à ses clients l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe, cette opération peut générer de nombreux cas de mise en cause de sa responsabilité civile professionnelle.

Le contrat d’assurance de groupe, régi par les articles L.141-1 et suivants du Code des assurances, consiste à garantir collectivement des risques dépendant de la vie humaine, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ou du risque de chômage. Proposer à vos clients l’adhésion ou la souscription de ce type de contrat peut être source de nombreux écueils qu’il vous faut éviter en tenant compte de la spécificité de ce type d’opération et de la particularité de la situation dont votre client vous fait part. Mais parfois, le risque de mise en cause relève plus de problématiques liées à votre statut lors de l’intervention ou à la nature même du contrat qui peut revêtir l’aspect d’un contrat d’assurance de groupe sans pour autant respecter le champ d’application légal.

Les risques classiques de mise en cause inhérents au contrat d’assurance de groupe

L’article L.520-1 du Code des assurances contraint l’intermédiaire au respect d’un certain nombre d’obligations au nombre desquelles s’ajoutent les différentes obligations de nature prétorienne qu’il convient d’observer (notamment le devoir de conseil, l’obligation de mise en garde et l’obligation de surveillance). Ainsi, le texte prévoit, avant la conclusion du premier contrat d’assurance, que l’intermédiaire doit fournir au souscripteur éventuel un certain nombre d’informations (identité, immatriculation ORIAS, procédures de recours et de réclamation, existence de liens financiers avec une ou plusieurs entreprises d’assurance) et, avant la conclusion
de tout contrat, de donner au souscripteur éventuel des indications quant à la fourniture du contrat, et s’il est soumis à une obligation contractuelle d’exclusivité. L’intermédiaire devra également formaliser les exigences et les besoins dont le souscripteur éventuel lui a fait part ainsi que les raisons qui ont motivé le conseil fourni sur le produit dont il a proposé la souscription ou l’adhésion. Ces mesures s’appliquent quelle que soit la nature du contrat, y inclus les assurances de groupe. Au-delà de ce cadre général, la spécificité de la nature du contrat d’assurance de groupe alourdit la charge des obligations de l’intermédiaire, qui doit par ailleurs veiller à l’adéquation entre l’adhésion ou la souscription qu’il propose et la situation de son client.

Les risques liés à la spécificité du contrat d’assurance de groupe : l’obligation d’information

La première spécificité a trait à la notice que la loi contraint l’assureur à élaborer, rédiger et remettre au souscripteur du contrat d’assurance de groupe, lequel aura la charge de la preuve de la bonne exécution de sa propre obligation de remise de la notice aux adhérents au moment de l’adhésion. Cependant, l’intermédiaire étant débiteur à l’égard de ses clients, adhérent ou souscripteur, d’une obligation d’information, l’adhérent pourra chercher à engager sa responsabilité civile professionnelle dès lors qu’il considère ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance des dispositions contractuelles lors de l’adhésion ou de ne pas en avoir été correctement informé.

Exemple N°1 : Une société avait souscrit au profit de ses cadres un contrat de prévoyance de groupe garantissant la poursuite de l’assurance décès 12 mois après la cessation d’activité du cadre au profit de son conjoint. En 2002, cette société est absorbée par une autre société qui résilie le contrat pour en souscrire un nouveau via un agent général ne comprenant pas la poursuite de l’assurance décès. L’agent ne pouvait ignorer cette suppression car il avait reçu de la part de la société le courrier de son assureur précédent lui rappelant la suppression de cette clause. En 2003, la nouvelle société signe son nouveau contrat d’assurance de prévoyance complémentaire. En 2005, un salarié décède 6mois après avoir cessé son activité. Sa veuve sollicite alors le versement du capital décès et se trouve confrontée à un refus du nouvel assureur. La veuve assigne le souscripteur pour avoir manqué à son obligation d’information sur la suppression de cette clause. Le souscripteur assigne alors l’agent pour l’avoir empêché de satisfaire à son obligation d’information vis-à-vis des adhérents au contrat en le laissant dans l’illusion de bénéficier de cette garantie.
Procédure en cours

Exemple N°2 : En 2001, une société souscrit par l’intermédiaire d’un courtier en assurances une convention « régime de prévoyance collective » au profit de ses salariés auprès d’une compagnie, contrat dans lequel est prévu qu’en cas de décès du salarié une rente sera versée au conjoint survivant dont le montant annuel serait également à un pourcentage du salaire multiplié par le nombre d’années comprises entre la date du décès et la date des 65 ans. Peu de temps après l’adhésion des salariés au contrat, la compagnie se rend compte avoir commis une erreur dans le contenu de la notice au sujet du calcul de cette rente. Elle établit alors un avenant au contrat que le courtier adresse sans davantage d’explications à la société pour signature. En 2002, un salarié décède et sa veuve sollicite le versement de la rente prévue dans le contrat initial qui sera calculée par l’assureur sur les bases fixées dans l’avenant. La veuve assigne la société souscriptrice pour ne pas avoir informé les adhérents de la modification effectuée unilatéralement par l’assureur concernant la rente, société qui assigne à son tour le courtier pour ne pas avoir attiré son attention sur la modification de la notice d’information, ce qui l’a empêché de satisfaire à sa propre obligation d’information vis-à-vis des adhérents.
Procédure en cours.

Exemple N°3 :Un agent général est sollicité par une association dans le cadre du prochain départ en retraite de son commissaire général. En janvier 2008, l’agent propose d’externaliser le régime de retraite complémentaire par le biais d’une décision unilatérale et la souscription corrélative d’un contrat à prestations définies (article 39 CGI). En novembre 2008, l’association souscrit le contrat d’assurance. En juillet 2009, l’agent général, informé par l’association du départ anticipé en retraite de son commissaire général au 31 décembre 2009, indique que la constitution du capital en vue du financement de la rente prévue pour le commissaire général conformément aux dispositions de la convention collective applicable, nécessite un versement important auquel procède l’association.
En octobre 2011, l’association, arguant d’un grave déséquilibre engendré dans ses comptes par le financement de la retraite de son commissaire général, assigne l’agent général pour avoir manqué à son obligation précontractuelle d’information lors de la souscription du contrat retraite car il ne lui aurait pas fait part des différentes options offertes dans le cadre des dispositions de l’article L.137-11 CSS et que la décision unilatérale rendue obligatoire par l’externalisation du régime de retraite n’était pas conforme aux dispositions légales.
Procédure en cours.

Les risques liés à la spécificité de la situation du client : le devoir de conseil

L’article L.520-1 du Code des assurances oblige l’intermédiaire pour toute souscription ou adhésion à un contrat d’assurance, à formaliser les raisons qui l’ont conduit à proposer tel contrat et telle garantie en adéquation avec la situation particulière du client et les besoins dont il lui a fait part. Le contrat d’assurance de groupe ne déroge pas à la règle. Vous devrez donc systématiquement veiller à leur bonne exécution sous peine de voir votre responsabilité civile engagée (la simple absence de remise du document formalisant les différents points étant fautive en soi).

Exemple N°1 : En décembre 1999, un courtier est sollicité par un établissement de santé pour la reprise de ses garanties et la souscription corrélative d’un contrat collectif prévoyance pour l’ensemble de son personnel. En septembre 2000, l’un des chirurgiens généralistes embauché par l’établissement souscripteur déclare une pathologie reconnue au titre de la législation sur les maladies professionnelles. En juillet 2004, il sollicite l’allocation mensuelle de la rente invalidité prévue au contrat souscrit. En octobre 2004, l’assureur refuse l’allocation faute pour le médecin de remplir les conditions contractuelles d’attribution (condition d’âge). Le médecin oppose quant à lui les dispositions de la convention collective applicable à l’établissement aux termes desquelles la rente doit être versée tant que les prestations sociales sont servies. En juin 2006, l’établissement souscripteur, assigné par le médecin, met en cause le courtier. En septembre 2008, faute d’intervention de l’assureur, l’établissement souscripteur est condamné par les magistrats à la prise en charge de la rente invalidité non versée au titre du contrat collectif. En mai 2011, l’établissement souscripteur assigne en garantie le courtier pour avoir manqué à son devoir de conseil du fait de la non-conformité du contrat souscrit aux dispositions de la convention collective.
Procédure en cours.

Exemple N°2 : Un établissement adhère par l’intermédiaire d’un courtier à un contrat de prévoyance collective. L’adhésion est dénoncée par l’assureur à l’échéance.
L’établissement souscrit un nouveau contrat de même nature auprès d’un autre assureur par le biais du même courtier.
Or, l’une des salariés de l’adhérent est en arrêt maladie successivement sous l’empire du premier puis du second contrat. Elle demande le bénéfice de la rente d’invalidité.
Le premier assureur considère que le second arrêt de travail, distinct du premier arrêt, a débuté après la résiliation de l’adhésion. Le contrat excluant la prise en charge des rechutes survenant postérieurement à la résiliation, il appartiendrait au second assureur de prendre en charge la rente invalidité. Le second assureur considère qu’il s’agit d’un même sinistre, occasionné par le même fait générateur (la Sécurité Sociale n’ayant appliqué aucune carence entre les deux arrêts), pour lequel il appartiendrait donc au premier assureur d’intervenir.
L’adhérent a donc dû prendre en charge les sommes qui auraient dû être versées à sa salariée outre la sur-cotisation générée par la prise en charge de la rente invalidité par le nouvel assureur.
Le courtier est assigné par l’adhérent pour manquement à son devoir de conseil pour ne pas s’être assuré de la bonne continuité des contrats en envisageant une hypothèse de rechute ou d’invalidité. Procédure en cours.

Enfin et par ailleurs, l’article L.132-27-1 du Code des assurances alourdit l’obligation de formalisation du conseil préalablement à la souscription mise à la charge de l’intermédiaire par l’article L.520-1 du même code. Dans ce cadre, vous devrez également vous assurer en en rapportant la justification par écrit :
– de l’adéquation du contrat proposé avec les capacités financières et les objectifs de souscription de votre client ;
– de la cohérence de la complexité du contrat avec sa situation (connaissances, expérience en matière financière).

A défaut d’obtenir les renseignements nécessaires sur ces différents points, une obligation de mise en garde également formalisée par écrit viendra se substituer à l’obligation de formaliser le conseil.
NB : Si les contrats dits « articles 83 » et « articles 39 » à adhésion obligatoire échappent à ces dispositions légales, l’ensemble des autres contrats de groupe à adhésion facultative y sont soumis dès lors qu’ils comportent une valeur de rachat ou de transfert.

Les risques particuliers de mise en cause spécifiques au contrat d’assurance de groupe

Le cumul des qualités de souscripteur et d’adhérent : l’addition des obligations d’information et de conseil

Il n’existe aucune incompatibilité d’ordre légal entre l’activité d’intermédiaire et celle de souscripteur. Il peut donc exister une confusion entre ces deux statuts, dès lors que l’intermédiaire va proposer à ses clients d’adhérer au contrat qu’il a lui-même souscrit en qualité de souscripteur.
Le cumul et la confusion des statuts de souscripteur et d’intermédiaire en assurances vont mécaniquement entraîner un cumul des obligations d’information et de conseil inhérentes à chacun de ces statuts.

S’agissant des obligations d’information propres au souscripteur, nous pouvons citer l’article L.140-4 du Code des assurances imposant au souscripteur d’un contrat groupe à adhésion facultative d’informer les adhérents par écrit, trois mois avant la date prévue de leur entrée en vigueur, des modifications de leurs droits et obligations contractuels afin qu’ils puissent exercer, s’ils le souhaitent, la faculté de dénonciation de l’adhésion offerte par la loi.
A défaut, ces modifications seraient inopposables et le souscripteur pourrait voir sa responsabilité civile engagée.

Il existe également un ensemble d’informations spécifiques en fonction de la nature du contrat souscrit, selon le caractère obligatoire ou non de l’adhésion et la nature du contrat que le souscripteur est légalement tenu de communiquer aux adhérents.
Les risques de mise en cause vont croître dans la mesure où l’assiette de l’obligation d’information augmente sensiblement sur la tête d’une seule personne : la vôtre.

Exemple : L’adhérent mécontent du fait d’un refus d’intervention de l’assureur qui lui oppose le non-respect de l’une des conditions prévues par la notice applicable au contrat pourra engager la responsabilité du souscripteur qui omettait de lui remettre la notice. Il pourra également engager la responsabilité du souscripteur qui lui proposait l’adhésion (et donc pris en qualité d’intermédiaire) s’il estime que l’existence de cette condition qu’il ignorait faisait perdre tout intérêt au contrat auquel il adhérait.

Le « faux » contrat d’assurance de groupe et ses cas de mise en cause spécifique

Le mécanisme de l’assurance de groupe est utilisé dans d’autres domaines que les assurances de personnes tels que l’assurance automobile, l’assurance de loyers impayés… Ces contrats d’assurance de groupe empruntent le mécanisme (assureur, souscripteur, adhérent) et le formalisme de l’assurance de groupe (bulletin d’adhésion…) sans pour autant être soumis à ses règles spécifiques. Nous les désignerons faux contrats d’assurance de groupe par opposition aux contrats d’assurance de groupe encadrés par le Code des assurances.
Très souvent, ces « faux » contrats d’assurance de groupe sont créés par des courtiers qui, pour se positionner sur une «niche», se retrouvent dans l’hypothèse du cumul des qualités et des obligations y afférentes.
Ces contrats d’assurance de groupe ne font pas l’objet d’un encadrement juridique spécifique et sont donc soumis, non pas à l’article L 141-1 du Code des assurances, mais à l’article L 112-1 du Code des assurances relatif à la souscription pour autrui. Il n’en existe pas de contrats type. Certains prennent simplement la forme «d’accord cadre », procurant à un ensemble de clients une tarification préférentielle, tout en permettant à chacun d’entre eux d’obtenir des garanties différenciées en fonction de leur situation particulière.
D’autres empruntent à l’assurance de groupe son formalisme (signature de bulletin d’adhésion…). Si les premiers sont assez souples, les seconds, enfermés dans un formalisme inadapté au risque couvert, ne sont pas sans danger pour les intermédiaires.

Exemple : Un transporteur professionnel adhère à un contrat d’assurance automobile de groupe souscrit via un courtier pour garantir ses nombreux camions acquis en leasing.
En 2004, le transporteur signe un mandat exclusif de placement et de résiliation de son contrat d’assurance automobile de groupe au profit d’un nouveau courtier qui résilie à l’échéance le contrat. Le courtier souscripteur refuse la résiliation du contrat d’assurance de groupe au motif que le transporteur est tenu d’honorer le contrat jusqu’au terme du financement de l’ensemble des véhicules.
Le transporteur refusant de régler sa prime, le courtier souscripteur l’assigne en remboursement des primes versées qu’il a lui-même avancées à la compagnie.
Le transporteur assigne alors son nouveau courtier pour avoir effectué une résiliation non valide de son ancien contrat l’ayant conduit à régler une prime deux fois.
Procédure en cours.