La fiscalité a toujours été au cœur des priorités. Mais elle prend, lors de périodes économiquement bousculées comme celle que nous connaissons depuis 2008, une toute autre dimension. Chaque ménage, chaque contribuable, et donc chaque client existant ou potentiel, qui voit croître le montant de son imposition y attache de plus en plus d’importance et œuvre pour en alléger l’impact. Dès lors, au travers de différents avantages (déduction, réduction, exonération, abattement, allègement, etc.) la fiscalité devient un argument de vente et le domaine de l’assurance n’y fait naturellement pas exception.
L’intermédiaire en général, et l’intermédiaire d’assurances en particulier, doit donc tenir compte des spécificités attachées à la matière fiscale laquelle, vaste, complexe et en perpétuelle évolution, commande de sa part une parfaite connaissance des mesures qu’elle réserve au domaine qui le concerne.
Pour l’intermédiaire d’assurances, l’aspect fiscal de l’opération d’assurance s’envisage à différentes étapes. Paramètre servant d’impulsion lors de la souscription de l’opération, elle peut également n’apparaître qu’en cours de gestion ou lors du dénouement. Il convient donc pour l’intermédiaire d’assurances d’y accorder une vigilance constante pour éviter de voir sa responsabilité civile mise à mal.
Le bénéfice fiscal peut également servir de moteur à une opération dont il marque alors la nature et qu’il réserve à des intermédiaires spécialisés dans la matière.
La fiscalité, paramètre de l’opération d’assurance à la souscription
Certaines opérations d’assurance s’accompagnent de mesures fiscales et tout particulièrement le domaine de l’assurance de personnes. Qu’il s’agisse d’assurances sur la vie et de couvertures prévoyance-retraite, ces mesures fiscales doivent être appréhendées dès la souscription du contrat.
Il appartient donc à l’intermédiaire d’assurances de définir au mieux et avec son client les paramètres de la situation de ce dernier afin de pouvoir s’assurer que le cadre et les paramètres fiscaux du contrat ou du montage qu’il propose correspondent bien au profil et aux besoins exprimés et qu’il peut, le cas échéant, mettre en garde son client sur certains des aspects du produit qu’il propose et qui pourraient avoir des conséquences sur sa fiscalité.
Il s’agira dans un premier temps d’identifier le « profil fiscal » du client qui détermine la nature de l’imposition, en tenant compte notamment : de l’âge du souscripteur, de la forme sociale de la structure ou du statut professionnel du souscripteur d’un contrat de retraite complémentaire. Outre les vérifications d’usage, il s’agira ensuite de s’assurer des objectifs recherchés dans le cadre de la mise en place de l’opération (transmission d’un patrimoine, constitution d’un complément de retraite, épargne en vue d’un investissement immobilier à plus ou moins long terme) afin de s’assurer que les conditions d’obtention du bénéfice fiscal ne seront pas en contrariété avec ces objectifs.
Formellement, cela pourra notamment se traduire par l’insertion, dans le document d’information et de conseil établi lors de la souscription, d’une rubrique propre à la fiscalité qui retranscrira le « profil fiscal » établi et permettra d’assurer la traçabilité des conseils et des mises en garde prodigués en la matière. A défaut, l’intermédiaire d’assurances pourrait voir sa responsabilité civile professionnelle mise en jeu au titre de son devoir de conseil, notamment lorsqu’il aura négligé l’un des aspects de la situation de son client, ou qu’il aura mal appréhendé les mesures fiscales applicables (ex. : dépassement des plafonds légaux entraînant une mesure de redressement en cas de contrôle URSSAF).
Exemple N°1 : Un couple de commerçants exerçant leur activité sous forme de SARL « familiale » souscrit pour chacun des conjoints à titre individuel un PERP. Leur agent général leur propose de souscrire un contrat Madelin qui leur offrait un meilleur taux d’intérêts, des frais de gestion plus avantageux ainsi qu’un avantage fiscal lié à leur statut de TNS. Le couple décide de mettre en réduction leurs contrats PERP et de souscrire chacun un contrat Madelin dont les cotisations seront réglées par la SARL. Or, compte tenu de la souscription des contrats Madelin, les assurés ont du payer des impôts sur le revenu ce qui n’était pas le cas précédemment. En effet, ces derniers déclaraient leurs bénéfices au titre de l’impôt sur le revenu, ce que l’agent ignorait, et déduisaient les primes versées sur les contrats PERP, ce qui les rendait non imposables et leur permettait de percevoir différentes aides, or les contrats Madelin ne leur permettaient de déduire les cotisations du bénéfice imposable que dans le cadre de l’impôt sur les sociétés, les cotisations étant versées par la SARL. Aussi, ils ont mis en cause la responsabilité civile professionnelle de l’agent pour manquement à son devoir de conseil.
Exemple N°2 : Deux cogérants d’une société nouvellement créée se rapprochent d’un agent général afin de souscrire chacun un contrat Loi Madelin leur permettant d’une part de mettre en place une retraite complémentaire et surtout de diminuer le bénéfice comptable de la société. Cependant, compte tenu de la souscription de ces deux contrats, les ASSEDIC leur ont demandé le remboursement des aides au retour à l’emploi qui leur avaient été versées. Aussi, ils mettent en cause la responsabilité civile professionnelle de l’agent général pour ne pas leur avoir précisé que les sommes prélevées sur le bénéfice de leur entreprise en vue de leur versement sur les contrats souscrits étaient assimilables à des rémunérations, ceux-ci ne devant percevoir aucune rémunération pour bénéficier des allocations des ASSEDIC, ce que l’agent ignorait.
Parfois, la situation particulière du client peut également le rendre éligible à certaines mesures légales ouvrant droit à des réductions fiscales spécifiques dont il appartient à l’intermédiaire de faire cas auprès de son client dès lors qu’il sait ce dernier en mesure d’en bénéficier. C’est notamment le cas du contrat de survie et d’épargne handicap (issu des dispositions de l’article 199 septies du CGI).
A toutes fins utiles, il est également opportun de rappeler l’entrée en vigueur avec l’Ordonnance du 30 janvier 2009 des dispositions de l’article L132-27-1 du Code des assurances repris au III de l’article L520-1 du même code qui prévoient l’obligation pour les contrats d’assurance individuels comportant des valeurs de rachat, les contrats de capitalisation, ou avant l’adhésion à un contrat d’assurance groupe, de préciser par écrit les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l’adhérent ainsi que les raisons qui ont motivé le conseil fourni au regard notamment de la situation financière et des objectifs de souscription du client et de la complexité de l’opération envisagée, englobant ainsi dans les cas envisagés ici les incidences fiscales. Cette obligation s’accompagne d’une obligation de mise en garde lorsque le souscripteur ou l’adhérent ne donne pas les informations nécessaires à l’analyse de l’intermédiaire.
La fiscalité, paramètre de l’opération d’assurance au cours de sa gestion jusqu’à son dénouement
L’opération d’assurance une fois souscrite ne dédouane pas l’intermédiaire de son devoir d’accompagnement de son client.
Il s’agit ici principalement de l’option fiscale ouverte par l’article 125 O-A du CGI qui permet au client en cas de rachat partiel ou total de son contrat d’assurance vie de choisir, après abattement, entre la réintégration de la part de plus-value réalisée sur le rachat aux revenus imposables au titre de l’imposition sur le revenu ou bien d’opter pour un prélèvement forfaitaire libératoire dont le taux variera en fonction de l’âge du contrat au jour du rachat. Cette option doit être portée à la connaissance du client dans la mesure où son contrat a été souscrit après le 1er janvier 1983 et que le versement sur lequel s’impute le rachat a été réalisé après le 25 septembre 1997.
S’il n’appartient pas à l’intermédiaire en assurance de prendre position sur l’opportunité de telle ou telle opération sur un contrat en cours, ni sur l’option fiscale qui peut l’accompagner, il lui appartient cependant d’informer son client sur les choix qui lui sont offerts et sur les caractéristiques de ces derniers, à charge alors pour le client d’opter, en fonction de ses différents paramètres fiscaux et patrimoniaux, pour l’un de ces deux régimes d’imposition. A défaut d’informer son client sur l’existence de ces mesures fiscales, et de lui en expliquer les mécanismes, l’intermédiaire pourrait voir sa responsabilité civile professionnelle engagée.
Exemple N°1 : Un client souscrit un contrat d’assurance vie par l’intermédiaire d’un agent général qui prévoit des rachats programmés pour lesquels le client avait expressément choisi l’option fiscale du prélèvement forfaitaire libératoire (PFL). Indépendamment de ces rachats programmés, le client moins de quatre ans après la souscription du contrat, effectue un rachat d’un montant plus important en confirmant oralement son choix pour l’option fiscale du PFL. Compte tenu de la somme réglée au titre du PFL, l’assuré met en cause la responsabilité civile professionnelle de l’agent. Celui-ci prétend que le montant de l’impôt aurait été moindre s’il avait déclaré ce rachat au titre de l’impôt sur le revenu compte tenu de sa faible imposition résultant de son invalidité que l’agent général ne pouvait ignorer puisque les sommes placées provenaient de l’accident dont il avait été victime. Aussi, l’assuré reproche à l’agent de ne pas justifier lui avoir exposé les différentes options fiscales existantes, de ne pas lui avoir indiqué laquelle était la plus en adéquation avec sa situation et de ne pas justifier son accord pour le choix du PFL. Plus spécifiquement, il pourra s’agir de mesures spécifiques intervenant en cours de contrat et permettant d’avantager fiscalement une opération existante. C’est notamment le cas de l’amendement Fourgous datant de fin 2005 qui permet de transformer un contrat d’assurance- vie mono-support en un contrat d’assurance vie multi-supports afin de conserver l’antériorité fiscale d’un produit parvenu à son terme contractuel et voué au dénouement en contrepartie d’une obligation faite au client de réinvestir un montant minimum de ses encours sur des supports en unités de compte. Ce type d’opération doit faire l’objet d’une attention particulière au regard tant des conditions du contrat d’origine que de la situation du client et de ses objectifs au jour de la transformation.
Exemple N°2 : Un couple souscrit un contrat d’assurance vie mono-support en 1988 dont le dénouement ne devait intervenir qu’au décès du second souscripteur, au profit des enfants nés ou à naître. En 2007, le couple souhaite dynamiser son épargne et profite de l’amendement Fourgous qui leur permet de transformer leur contrat mono-support en multi-support, sans perdre l’antériorité fiscale du contrat souscrit en 1988. L’un des deux conjoints décède, or, contrairement aux stipulations du contrat initial, le contrat se dénoue et le conjoint survivant récupère les fonds placés. Ce dernier met en cause la responsabilité civile professionnelle de l’intermédiaire d’assurance en lui reprochant de ne pas avoir repris les dispositions contractuelles du contrat initial ce qui lui a fait perdre ainsi qu’à ses ayants droits toute l’antériorité fiscale.
La fiscalité, objectif de l’opération de défiscalisation
Il s’agit là d’une matière toute autre, où la fiscalité, loin de n’être qu’un des aspects de l’opération, en devient la finalité. L’opération s’empreigne alors intégralement de la réglementation fiscale dans laquelle elle trouve sa source. Il peut s’agir notamment d’opérations dites de « défiscalisation immobilière » ou encore d’opérations particulières octroyant un bénéfice fiscal spécifiquement prévu et encadré par un texte comme les opérations dites « Girardin Industriel ».
Dans les deux cas, des obligations s’imposent à l’intermédiaire qui conseille à ses clients ce type d’opérations ou de montages. En effet, ce dernier, s’il est astreint à une obligation de conseil à l’égard de ses clients sur l’adéquation de l’opération qu’il leur propose au regard des objectifs poursuivis et des différents paramètres des situations de chacun d’entre eux (dont l’exhaustivité passe par une analyse patrimoniale préalable), cette dernière s’accompagne toujours d’une obligation d’information et de mise en garde sur les conditions et les risques attachés aux opérations qu’il va être amené à proposer. Ainsi, outre les différents plafonds prévus par les textes qui prévoient ces opérations et en fixent le régime, qui, s’ils sont dépassés sur un exercice fiscal, font perdre au client le bénéfice d’une partie de son investissement, l’intermédiaire doit également veiller à attirer l’attention de celui-là sur les conditions d’obtention de l’avantage fiscal d’une part, mais également sur le risque lié à l’interprétation qu’en fait l’administration fiscale, laquelle peut varier d’un exercice sur l’autre, d’autre part.
Ces opérations, spécifiques par nature puisqu’elles s’adressent à des clients désireux d’obtenir un bénéfice purement fiscal et sont de ce fait strictement encadrées par une règlementation fiscale particulière, ne sont susceptibles d’être proposées que par des intermédiaires spécialisés : les conseillers en gestion de patrimoine (CGP).
Dans tous les cas, le client qui ne pourra obtenir l’avantage fiscal escompté tel que le CGP le lui avait présenté cherchera à mettre en cause la responsabilité civile professionnelle de ce dernier qui n’aura pour seule échappatoire que d’opposer les différents écrits, clairs et intelligibles, qu’il aura remis à son client pour l’alerter sur les conditions et les risques de l’opération qu’il lui conseillait. Il en ira ainsi des opérations réalisées dans le domaine immobilier lorsque le client investit sans avoir été préalablement averti que le bénéfice fiscal est conditionné notamment à la prise à bail du bien dans lequel l’investissement était réalisé.
Exemple : Afin de diminuer le montant de son imposition sur le revenu, un client fait une première opération de défiscalisation type Girardin Industriel avec un premier conseil en gestion de patrimoine puis une seconde, dans la même année, avec un deuxième conseiller en gestion de patrimoine. Cependant, cette deuxième opération ne lui permet pas de bénéficier de la réduction d’impôt car le plafond de déductibilité propre à ce type d’investissement a déjà été atteint par le premier investissement. Le client s’en aperçoit au moment de sa déclaration de revenus et met en cause la responsabilité civile professionnelle du second conseiller car l’opération a été réalisée à perte.
L’intermédiation compte aujourd’hui de nombreux défis et la fiscalité est de ceux-là. Par nature fluctuante, elle impose aux intermédiaires une mise à jour régulière de leurs connaissances pour assurer à leurs clients la pertinence de leurs conseils et de leurs informations. Cela passera notamment par une prise de connaissance chaque année des Lois de Finances afin de mesurer l’impact des nouvelles mesures sur les produits commercialisés mais également par une lecture attentive des différentes publications de l’Autorité des Marchés Financiers et des recommandations prises par l’Autorité de Contrôle Prudentiel en matière de conseil et d’information des clients sur ces produits.