Pour mener à bien une mission de conseil et s’assurer de sa pertinence, il est nécessaire que l’intermédiaire appréhende son client dans une dimension patrimoniale globale. Il convient ici d’entendre la notion de « patrimoine » dans son acception juridique, c’est-à-dire comme l’ensemble des biens qui appartiennent à une personne physique ou morale et des droits qui s’y rapportent. Il est en effet très difficile, parce qu’éminemment subjectif, d’adjoindre à cette notion un seuil quantitatif.

Tout intermédiaire, dans la mesure de ses attributions et de ses spécificités techniques, va donc intervenir dans le cadre de la gestion du patrimoine de ses clients mais, chaque intermédiaire étant cantonné au cadre réglementaire de l’activité qu’il exerce et au champ d’intervention qui lui est ainsi octroyé, son intervention sur le patrimoine de ses clients s’en trouve corrélativement circonscrite.
L’intermédiaire, pour mener à bien la mission qui lui est confiée, va alors parfois se heurter à certaines limites, qu’elles soient propres à l’activité qu’il exerce ou à la nature même de cette mission, mais il devra surtout garder à l’esprit que la retranscription de son patrimoine par le client n’est pas toujours fidèle et exhaustive, concilier son intervention avec celles d’autres intermédiaires, dont le client ne lui aura pas nécessairement fait part, et ainsi parfois travailler « à l’aveugle ».

Il ne s’agira donc pas ici de s’intéresser uniquement à l’activité de « gestion » stricto sensu du patrimoine, c’est-à-dire à la réalisation et/ou la mise en œuvre des opérations/investissements envisagés, mais également et de manière plus générale aux conseils qui sont prodigués et orientent cette gestion.
Ainsi, si certains intermédiaires vont intervenir pour valoriser et faire fructifier le patrimoine de leurs clients, d’autres vont intervenir uniquement de manière spécifique sur ce patrimoine.

L’approche globale du patrimoine par les intermédiaires

Un intermédiaire sera en premier lieu sollicité par un client ou par un prospect qui souhaite valoriser et faire fructifier son patrimoine. Fort de cette mission, il va devoir alors le conseiller au mieux sur la gestion directe de son patrimoine en lui proposant la réalisation d’opérations ou d’investissements qui permettront d’en augmenter ou d’en pérenniser la valeur.
La composition du patrimoine, les attentes et les objectifs du client, son âge, son environnement familial ou bien encore les risques que ce dernier accepte de prendre sont autant de paramètres qu’il conviendra alors de prendre en compte par les différentes catégories d’intermédiaires qui seront susceptibles d’être mobilisées.

L’intermédiaire en opérations d’assurance (IOA )

Il pourra être sollicité pour la souscription d’un contrat d’assurance sur le risque vie, d’un contrat mixte ou bien encore d’un contrat de capitalisation dans l’objectif d’augmenter la valeur de son patrimoine des fruits du contrat ainsi souscrit lors de son dénouement, ou d’en faciliter la transmission au moment de la succession ;

L’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement (IOBSP)

Il pourra être mandaté par son client dans le cadre du financement d’un bien immobilier pour obtenir un prêt au meilleur taux afin d’en amoindrir le coût et par ricochets de préserver le patrimoine à hauteur de l’économie réalisée, ou bien encore de proposer des modalités de financement particulières, ou bien enfin pour lui permettre de conserver des placements réalisés par le passé dont le taux contractualisé est supérieur au taux du financement obtenu ;

L’agent lié aux prestataires en services d’investissement (ALPSI)

Il pourra intervenir auprès des clients pour leur proposer la souscription ou la vente d’un instrument financier distribué par son mandant qu’il aura identifié comme étant le plus adapté à leur situation patrimoniale ;

Le conseiller en investissement financier (CIF)

Il sera sollicité dans le même ordre d’idée pour conseiller au mieux ses clients, dont il aura préalablement étudié et évalué le patrimoine, sur l’un des produits ou services limitativement énumérés par le Code monétaire et financier pour leur permettre à terme de générer une plus-value qui viendra mécaniquement augmenter l’ampleur de leur patrimoine ;

L’intermédiaire en transactions immobilières (ITI)

Il cherchera également à la demande de son client désirant développer son patrimoine immobilier un bien à forte valeur locative dont il pourra faire l’acquisition. Pour chacun d’entre eux, le législateur a prévu, de manière plus ou moins précise et établie, un certain nombre d’obligations en matière d’information, de conseil, de loyauté et de formalisation des missions confiées et des conseils prodigués dans ce cadre.

 

L’enjeu du respect de ces obligations, au-delà de la traçabilité des différentes interventions et de la pertinence des conseils donnés – dans le contexte et à la date à laquelle ils sont donnés – réside également dans la retranscription des informations données par le client qui, volontairement ou non, peut ne restituer de son patrimoine qu’une vision appauvrie ou parcellaire, ce qui ne permettra pas nécessairement à l’intermédiaire d’avoir une vision objective du « bilan patrimonial » qu’il aura échafaudé et sur lequel il fondera sa réflexion.

Les objectifs du client peuvent également évoluer dans le temps et ne plus être en adéquation avec le résultat de l’étude menée et des conseils donnés.

Exemple N°1 : le courtier est sollicité en juin 2007 par sa cliente qui souhaiterait se constituer un complément de retraite en plaçant des fonds dont elle disposait à la banque mais qui ne lui apportaient qu’un faible rendement, ce que le courtier omet de formaliser. Il lui propose la souscription d’un produit d’assurance vie sur des supports en actions sur lesquels la cliente place l’ensemble de ses encours, soit la somme globale de 50 000 e. L’année suivante au mois de juin 2008, elle fait un retrait partiel d’environ 36 000 e. Elle fait une seconde demande de rachat partiel au mois de juin 2009. Au mois de juin 2010, elle demande le rachat total du contrat et affirme à cette occasion qu’elle aurait demandé une garantie sur le capital versé compte tenu d’un projet immobilier qui nécessitait la mobilisation des 50 000 e placés à très court terme. Le courtier, qui n’a pas réagi à l’occasion des rachats, n’est pas en mesure de rapporter la preuve que la cliente n’a jamais mentionné ce projet qui rend le placement proposé inadapté à la situation de la cliente.
Par ailleurs, le client peut avoir recours à différents intermédiaires pour le conseiller dans les orientations à prendre dans la gestion de son patrimoine et dans les opérations pertinentes à envisager, sans pour autant en informer les intermédiaires entre eux qui peuvent de ce fait ignorer les éventuelles interactions entre leurs propres conseils et ceux que leurs confrères peuvent donner de leur côté.

Exemple N°2 : Un couple de clients sollicite le CIF au mois d’octobre 2009 en vue d’un placement défiscalisant qui s’inscrit dans le cadre des dispositions de l’article 199 undecies B du CGI (opération dite Girardin Industriel). Ils omettent cependant d’avertir le CIF qu’un placement similaire a été réalisé quelques mois plus tôt auprès d’un autre intermédiaire. L’année d’après, ils déplorent ne pas avoir obtenu l’avantage fiscal annoncé, l’Administration fiscale leur ayant opposé le plafond légal pour la défiscalisation sur ce type d’opération. Ils reprochent au CIF de ne pas les avoir mis en garde sur l’existence de ce plafond et d’avoir omis de les interroger sur d’autres opérations qu’ils auraient pu réaliser.

Enfin, il est primordial pour l’intermédiaire d’entériner le cadre dans lequel il intervient et d’ainsi délimiter précisément la sphère de ses obligations et de ses compétences techniques. Devant l’imbroglio et l’empilement croissant des mesures législatives qui requièrent une réelle vigilance, il est primordial de ne pas se hasarder hors de cette sphère, au risque de voir requalifier la nature de l’intervention, avec pour conséquence de ne pas être en accord avec la règlementation idoine et les garanties RC souscrites.

Exemple N°3 : L’intermédiaire régularise un mandat de vente délivré par un promoteur immobilier pour le placement d’opérations de défiscalisation immobilière. Dans le cadre de l’exécution de son mandat, l’intermédiaire réalise l’étude patrimoniale préalable et prend également en charge les démarches commerciales, administratives et bancaires propres à la vente. Les clients n’ayant pas obtenu le bénéfice fiscal escompté assignent le promoteur et l’intermédiaire. Les magistrats retiennent l’intervention de l’intermédiaire en qualité d’ITI du fait du mandat, statut réglementé dont l’adhérent ne remplissait pas les conditions au jour de l’opération.

De la même manière, certains accords commerciaux peuvent constituer pour les intermédiaires approchés des « miroirs aux alouettes » dont ils devront par la suite porter la charge. Ce « chant des sirènes » peut coûter cher à l’intermédiaire qui, confiant dans l’intégrité de son partenaire, ne procèderait pas aux vérifications d’usage sur son cocontractant et sur l’opération envisagée.

Exemple N°4 : L’intermédiaire est mandaté par un promoteur d’opérations immobilières défiscalisantes « clé-en- main » dont la valeur locative est surévaluée par rapport à la zone d’implantation des biens. Le client qui n’est pas en mesure d’obtenir le résultat fiscal escompté faute d’avoir trouvé preneur à bail pour les biens acquis, reproche à l’intermédiaire de ne pas s’être assuré si les données communiquées par le promoteur à ce titre étaient réalistes.

L’appréhension spécifique du patrimoine entre les intermédiaires

L’intermédiaire peut également être sollicité sur un aspect précis que pose le patrimoine dans sa gestion.

La fiscalité, qui avait été envisagée dans le CGPA Conseil de juin 2013 dans une perspective assurantielle, peut par exemple faire l’objet de l’intervention spécifique d’un intermédiaire qui pourra prendre la forme d’un conseil sur une opération défiscalisante mobilière ou immobilière donné par un CIF, ou sur des investissements bénéficiant d’une fiscalité idoine plus favorable, sur lesquels seuls certains intermédiaires tels que les ALPSI, de par les attributions que leur confère leur statut, vont pouvoir conseiller leurs clients dans le but d’atténuer l’impact fiscal généré par leur patrimoine (régime d’imposition sur le revenu, sur la fortune) à défaut de pouvoir la rendre indolore.

Une analyse patrimoniale préalable demeure cependant nécessaire pour s’assurer de l’éligibilité du client aux opérations proposées et de la pertinence de celle-là.
Or, nulle opération n’est exempte de risques sur lesquels l’attention du client devra être attirée, ce dont l’intermédiaire devra s’assurer par écrit (particularités du régime fiscal, conditions d’éligibilité du contribuable ou attachées à la provenance des fonds investis, existence de plafonds, risque de changement d’interprétation des textes par l’Administration fiscale).

Exemple N°1 : un CIF conseille en 2012 à son client, qui vient de céder les parts de son entreprise, de réaliser un investissement dans le cadre de l’article 199 undecies C du CGI (dispositif Girardin Social) afin de pouvoir bénéficier sur l’année 2013 de l’avantage fiscal prévu et ainsi d’alléger la charge fiscale inhérente à l’imposition sur les fruits de la cession. A réception de son avis d’imposition 2013, le client se rend compte que l’avantage fiscal escompté n’a été pris en compte par l’Administration fiscale qu’à hauteur de 20 % du fait du caractère forfaitaire de la fiscalité appliquée à la plus-value réalisée dans le cadre de la cession de l’entreprise qui la rendrait inéligible au bénéfice de la réduction fiscale.

Enfin, et surtout, la difficulté résidera dans l’effort de vulgarisation auquel devra se plier l’intermédiaire dans la transmission des informations à son client qui doit comprendre a minima en quoi consiste l’opération envisagée pour prétendre comprendre à quelles conséquences il s’expose.
Si la spécificité fiscale est réservée à certains intermédiaires, tout intermédiaire est pour autant susceptible d’intervenir sporadiquement dans sa spécialité pour conseiller ses clients sur une question précise ou un aspect spécifique que pose la gestion du patrimoine. Il pourra s’agir de l’IOBSP ou de l’ITI qui envisagent les incidences de la forme juridique du souscripteur du prêt ou de l’acquéreur du bien. De la même manière, l’attention de l’IOA pourra être requise par un client confronté à la rédaction d’une clause bénéficiaire.

Exemple N°2 : l’agent général est sollicité par sa cliente en décembre 2009 dans le cadre de la gestion de ses actifs alors placés sur un compte titre et un PEA auprès d’un établissement bancaire. Il lui propose de transférer son compte titre et son PEA auprès de la filiale bancaire de sa compagnie mandante afin de liquider lesdits actifs avant de placer les sommes obtenues sur un contrat d’assurance vie. La cliente tarde à lui communiquer l’historique des ventes réalisées au cours de l’année 2010 sur son compte titre. Or, la somme des cessions réalisées ajoutée aux sommes obtenues suite au transfert du compte titre dépasse le seuil des cessions permettant la défiscalisation des plus-values sur l’exercice 2010. La cliente, auprès de laquelle l’agent général s’était engagé à respecter le seuil de cession prévu pour l’année 2010, lui reproche un manquement au devoir de conseil et de mise en garde.

Il convient enfin d’évoquer les éventuelles interventions ponctuelles que peuvent faire certains intermédiaires en marge de leur activité principale, dans le cadre de la Loi du 31 décembre 1971. Ce texte les autorise contre rémunération à établir des consultations juridiques (c’est-à-dire de donner un avis écrit sur une situation présentant une difficulté juridique afin d’aider leur client à prendre une décision) ou à rédiger des actes sous seing privé lorsqu’ils justifient de l’obtention d’une licence en droit ou lorsque la règlementation qui encadre leur profession prévoit clairement l’octroi d’une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d’actes en matière juridique (les consultations juridiques et les actes sous seing privé devant alors s’inscrire dans le cadre de leur activité principale et constituer l’accessoire direct de la prestation fournie au titre de cette activité).

Dans ce cadre, l’intermédiaire sera sollicité pour résoudre une difficulté rencontrée par son client dans la gestion de son patrimoine. Si la position retenue par ce dernier sera nécessairement écrite, il conviendra toutefois de bien veiller à également formaliser les renseignements donnés par le client et de s’assurer que l’ensemble des paramètres requis par la réflexion ont bien été recueillis.

L’absence d’encadrement réglementaire de la profession de conseiller en gestion de patrimoine et les évolutions éparses qui se font en marge de cette carence pour pallier l’abstentionnisme législatif ne permettent pas d’appréhender la gestion du patrimoine de manière uniforme et quoiqu’il en soit, les intermédiaires, à défaut d’un interlocuteur unique qui leur donnerait d’un patrimoine donné une cartographie fidèle et exhaustive, continueront de se heurter aux difficultés que seul un effort de formalisation permettra d’atténuer mais que les réformes et évolutions européennes à venir ne viendront peut-être pas apaiser.