Ces dernières années, nous avons pu constater des retraits d’agréments d’entreprises françaises ou européennes exerçant en LPS en France. Une entreprise d’assurance, qu’elle soit française ou européenne, est soumise à la tutelle d’une Autorité de régulation (en France l’ACPR) qui sera chargée de vérifier que l’entreprise d’assurance est en mesure de chiffrer ses engagements et de les représenter sous forme d’actifs réglementés suffisants, et ce, de façon à satisfaire à une marge de solvabilité fixée différemment dans chaque pays. Si cette marge n’est pas atteinte, une décision de retrait d’agrément pourra alors être prise par l’Autorité de régulation.
Si à l’heure actuelle, les retraits d’agrément d’une entreprise française semblent moins fréquents (peut-être en raison des normes de solvabilité imposées), en revanche, nous constatons que désormais l’intermédiaire en assurances (IA) va être confronté, ainsi que ses clients, au retrait d’agrément d’entreprise d’assurance européenne exerçant en LPS en France et devra faire face à des situations plus complexes qu’en cas de retrait d’agrément d’une entreprise française.
La défaillance d’une entreprise d’assurance française
La France connait sporadiquement des retraits d’agrément d’entreprise d’assurance tant dans la branche « assurance dommages » que dans la branche « assurance vie ». Nous avons choisi d’illustrer notre article par les retraits d’agrément intervenus dans la branche « assurance dommage » compte-tenu du récent retrait d’agrément de la MTA (23 août 2016).
En France, la procédure qui conduit au retrait d’agrément d’une entreprise d’assurance est une procédure confidentielle très encadrée menée par l’ACPR.
Avant le prononcé du retrait d’agrément, l’ACPR peut, selon l’article L310- 25 du Code des assurances (CA), décider de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire pour rétablir les ratios de solvabilité nécessaires à l’entreprise d’assurance.
Dans un cas particulier, comme le redressement judiciaire de sociétés d’assurance à cotisations variables, l’entreprise d’assurance peut procéder avec l’administrateur judiciaire désigné, conformément à l’article R322-71 du CA, à des rappels de cotisation (si ses statuts le permettent) pour recapitaliser l’entreprise d’assurance.
Si la marge de solvabilité n’est pas rétablie, l’ACPR peut alors prononcer le retrait d’agrément qui engendre alors, ipso facto, la liquidation judiciaire de l’entreprise d’assurance (article L326-2 du CA) et la résiliation de plein droit des contrats dont elle est porteuse. La résiliation des contrats sera effective, selon l’article L326-12 du CA, le 40e jour à 12 heures de l’avis de parution au Journal Officiel de la décision de retrait d’agrément.
Dans un délai de 20 jours suivant la parution au Journal Officiel de l’avis de retrait d’agrément, le liquidateur en informera par LRAR, conformément à l’article L310-25 du CA, les assurés et bénéficiaires du contrat, du retrait d’agrément et de ses conséquences principalement sur le sort des cotisations et au cas par cas sur le sort des sinistres.
Le sort des primes
L’article L326-12 du CA distingue deux situations :
Si la prime est échue avant l’avis de retrait d’agrément, elle sera due en totalité par l’assuré, y compris pour la part correspondant à la période postérieure à la résiliation, étant précisé que la part de prime payée pour la période postérieure à la résiliation sera prise en compte dans le cadre de la procédure collective de l’entreprise, sans que l’assuré soit tenu de déclarer sa créance (article L326-4 du CA).
En revanche, si la prime est échue après la parution de l’avis de retrait d’agrément la prime ne pourra être recouvrée que pour la portion allant jusqu’à la résiliation.
Si l’ACPR l’autorise, le client pourra également solliciter auprès de l’IA (courtier ou mandataire non salarié uniquement), conformément à l’article L326-14-1 du CA, le reversement d’un quart au plus des commissions perçues sur les primes émises depuis le 1er janvier de l’année précédant le retrait d’agrément.
Le sort des sinistres
Pour les sinistres, plusieurs situations peuvent se présenter :
Pour les sinistres survenus avant la résiliation effective du contrat et déclarés avant l’expiration du délai de 40 jours à l’issu duquel le contrat est résilié.
Ces sinistres seront gérés, à l’exclusion de ceux relevant de l’assurance obligatoire, dans le cadre des fonds disponibles issus de la liquidation de l’entreprise d’assurance. Par exemple : un sinistre incendie déclaré par un assuré titulaire d’un contrat d’assurance multirisque.
En effet, pour les sinistres relevant d’une assurance obligatoire, le FGAO a été créé pour pallier à l’insolvabilité de l’entreprise d’assurance (article L421-9 du CA). Il a pour champ de compétence : l’assurance auto obligatoire, les accidents de chasse, l’assurance construction (dommages ouvrage et assurance décennale), l’assurance de la responsabilité des professionnels de la santé, l’assurance de la responsabilité civile des autres professions réglementées soumises à obligation d’assurance (par exemple expert auto), la caution obligatoire des professions réglementées. Dans ce cas, le FGAO, financé par une contribution des assurés et des assureurs prélevée sur les contrats d’assurance, va couvrir, en lieu et place de l’entreprise d’assurance défaillante, les sinistres garantis par le contrat dont le fait dommageable est survenu au plus tard le quarantième jour (à midi) suivant la publication au journal officiel de la décision de retrait d’agrément, à condition que la victime soit ressortissante ou résidente française et que le risque ou l’engagement se situe en France ou dans l’UE.
Pour les sinistres survenus avant résiliation du contrat mais déclarés après résiliation du contrat.
La doctrine tendrait à indiquer à ce sujet que si le sinistre relève de l’ancien contrat, il devra être déclaré au plus tard 5 ans après la résiliation du contrat pour pouvoir bénéficier de la prise en charge du FGAO.
Des difficultés peuvent surgir lorsque le client déclare plusieurs sinistres dont certains relèvent de l’ancien contrat et d’autres du nouveau contrat géré par un repreneur (par l’effet, par exemple, d’un transfert de portefeuille validé par l’ACPR), repreneur qui n’acceptera pas de verser des indemnités pour une période qu’il ne couvre pas.
Y’a-t-il un risque de mise en cause de la responsabilité de l’intermédiaire en assurances en cas de défaillance d’une entreprise d’assurance ?
Divers cas de mise en cause de la responsabilité de l’IA peuvent exister avant ou après retrait d’agrément d’une entreprise d’assurance.
Avant retrait d’agrément, nous pouvons citer par exemple les lettres de mises en cause adressées par des clients de la MTA à leur intermédiaire à réception d’un courrier émanant de l’administrateur judiciaire de cette société sollicitant un rappel de cotisation sur plusieurs années (alors même que pour certains leur contrat était résilié). Ils ont notamment reproché à leur intermédiaire de ne pas les avoir informés suffisamment, lors de la souscription de leur contrat, sur la possibilité offerte à la société et son administrateur judiciaire de procéder à ces rappels de cotisation.
Après retrait d’agrément, le client peut être amené à rechercher la responsabilité de son IA pour plusieurs raisons.
Il pourra tout d’abord le mettre en cause, eu égard au choix de l’entreprise défaillante, en s’appuyant par exemple sur les articles parus dans la presse, sur internet ou sur des alertes de l’ACPR relatifs aux difficultés financières rencontrées par l’entreprise d’assurance dans une période contemporaine à la souscription litigieuse.
Il pourra lui être reproché d’être contraint à payer, pour une même période, deux primes de façon à être certain qu’en cas de sinistre le nouvel assureur le prendra en charge. Il paraît en effet prudent pour l’IA, dès l’avis de retrait d’agrément, de proposer à son client de souscrire un nouveau contrat d’assurance dans la mesure où rien ne lui permet de savoir si les fonds issus de la liquidation permettront de le désintéresser totalement en cas de sinistre survenu avant la résiliation du contrat de l’entreprise défaillante. Le client pourra également rechercher la responsabilité de son intermédiaire en raison de difficultés voire de l’impossibilité de replacement de son risque par exemple en matière d’assurance construction ou d’assurance multirisque discothèque.
Si la défaillance d’une entreprise d’assurance française est bien encadrée, qu’en est-il d’une entreprise européenne exerçant en France en LPS ?
L’intermédiaire en assurance face à la défaillance d’une entreprise d’assurance étrangère
Nous n’aborderons que le cas des compagnies étrangères exerçant en LPS sur le territoire de l’UE.
Le développement du marché unique européen a donné la liberté aux assureurs de prendre en charge des risques sur le territoire de l’UE sans établissement implanté dans le pays du risque. Compte-tenu de la raréfaction des acteurs du marché français sur certains risques ou des prix très attractifs proposés par des compagnies exerçant en LPS, l’IA peut faire le choix de proposer à son client un contrat placé auprès d’une compagnie étrangère. Quelles sont les règles applicables en cas de défaillance d’une compagnie étrangère (I) et à quels risques s’exposent les IA qui ont placé un risque auprès de cette compagnie en cas de défaillance de celle-ci (II)?
La règlementation au contrat d’assurance en cas de défaillance d’une compagnie étrangère
Les règles issues du droit européen : principe d’unité, de coordination et lex concursus Il est prévu aux termes des différentes directives européennes sur l’assurance que les États membres désignent les autorités compétentes chargées de veiller sur leur territoire à la mise en oeuvre des principes de la directive. Le contrôle d’une compagnie étrangère repose donc sur le régulateur du pays d’origine. C’est également ce dernier qui décide d’interdire, le cas échéant, à la compagnie d’émettre de nouveaux contrats, de restreindre les paiements, de déterminer la date de résiliation des contrats voire de placer la compagnie sous le régime de la liquidation. Les Directives en matière d’assurance ne prévoient pas de volet concernant les règles de coordination en cas de liquidation d’une société d’assurance.
Directive 2001/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance vise à assurer la reconnaissance mutuelle de mesures en matière de liquidation d’une société d’assurance par les États membres de l’UE et a instauré le principe selon lequel c’est le régulateur du pays dont dépend la compagnie étrangère, lorsqu’il relève un problème avec cette compagnie, qui informe de la situation l’autorité du pays dans laquelle les contrats ont été placés (ex : en France l’ACPR). C’est l’autorité compétente de l’État membre d’origine qui est seule habilitée à prendre des décisions concernant les procédures de liquidation des entreprises d’assurance, l’ensemble des conditions qui s’appliquent à l’ouverture, à la conduite et à la clôture des procédures de liquidation relevant de la loi de l’État membre d’origine. Il convient donc de considérer que ce sont les règles générales applicables aux sociétés en liquidation qui doivent trouver application et que ce sont donc les règles de la liquidation du pays d’origine de la compagnie qui seront appliquées. L’article L326-20 du CA précise que les mesures d’assainissement définies à l’article L 323-8 du CA et les décisions concernant l’ouverture d’une procédure de liquidation prises par les autorités compétentes d’un État membre de l’UE autre que la France à l’égard d’une entreprise d’assurance ayant son siège sur le territoire de cet État produisent tous leurs effets sur le territoire de la République française sans aucune autre formalité, y compris à l’égard des tiers, dès qu’elles produisent leurs effets dans cet État (…). les exemples récents de défaillance de compagnies étrangères :
Lemma Europe en 2012 et EIC en 2016 basées à Gibraltar :
– Lemma Europe, le 28 septembre 2012, une liquidation judiciaire provisoire est ouverte et la liquidation définitive ne sera prononcée que le 24 janvier 2013.
– le 22 juillet 2016, le GFSC, l’autorité de régulation de Gibraltar, informe l’ACPR sur la défaillance de la compagnie EIC et du fait qu’elle lui a retiré la possibilité de souscrire de nouveaux contrats. Le 6 octobre 2016, l’ACPR émet un communiqué précisant que le GFSC informe que tous les contrats seront résiliés le 26 octobre 2016 à effet immédiat et qu’EIC fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
Gable Insurance basée au Liechtenstein : le 23 septembre 2016, l’ACPR publie une alerte de l’Autorité des marchés financiers du Liechtenstein (FMA) informant de l’interdiction faite à l’entreprise Gable Insurance AG, de souscrire de nouveaux contrats d’assurance, de reconduire ou de proroger des contrats en cours.
Les conséquences : être capable de répondre de son choix
Une vigilance renforcée au moment de la mise en place des contrats
L’IA va devoir informer son client sur l’identité de la compagnie et recueillir son acception sur le fait que le risque soit porté par une compagnie qui ne sera pas implantée en France et dont les normes prudentielles sont celles du pays d’origine et les conséquences que cela peut entraîner.
Cela peut se révéler d’autant plus compliqué que, parfois, l’IA n’est pas celui qui a fait le choix de la compagnie et ne connait pas toujours de prime abord son identité comme cela est le cas en présence d’intervention de plusieurs acteurs (co-courtier, agence de souscription, mandataire de la compagnie…).
Afin d’apporter la preuve d’avoir indiqué à son client l’identité de l’assureur, il peut être utile de porter cette mention sur la fiche conseil lors de la souscription du contrat et d’indiquer les raisons du choix de cette compagnie. l Par exemple, un contrat avait été souscrit auprès de Lemma Europe mais sur les conditions particulières, ne ressortent que le nom du courtier grossiste par lequel le contrat a été placé et non le nom de la compagnie. Le client met en cause le courtier apporteur pour ne pas l’avoir informé du nom de la compagnie et des risques liés à cette souscription.
Autre exemple, la cour d’appel de Versailles, le 2 nov. 2006 a indiqué que : « le courtier, s’il n’est pas garant du maintien de la solvabilité de l’assureur, est tenu de procurer à son client un assureur dont la solvabilité n’est notoirement pas mise en doute le jour où le contrat est souscrit ». Sa responsabilité peut être engagée s’il ne démontre pas avoir identifié l’identité et le caractère sérieux de l’assureur proposé. Dans cette espèce, le courtier avait fait appel à un courtier anglais pour placer le risque auprès d’une compagnie étrangère, sans procéder lui-même à aucune vérification quant à la solvabilité de l’assureur portant le risque, ni même demander au courtier anglais de le faire.
Se tenir régulièrement informé pour conseiller son client
Il est essentiel pour un IA de consulter régulièrement le site de l’ACPR afin d’être informé des alertes émises par celle-ci, et ce, afin d’être en mesure de fournir un conseil adapté aux clients auxquels il aurait proposé de souscrire auprès d’une compagnie étrangère. L’IA confronté au retrait d’agrément d’une compagnie étrangère va devoir répondre aux questions de ses clients concernant le sort du contrat et des primes car les principes qui découlent du droit français ne sont pas forcément applicables. Ainsi, contrairement à ce qui se passe pour des compagnies opérant en France, le retrait d’agrément n’entraîne pas forcément dans le même temps la liquidation de la compagnie (ex. : Gable). Il existe donc une période de latence plus ou moins longue pendant laquelle la compagnie se voit retirer son droit de proposer les contrats sans que le retrait d’agrément ne soit prononcé par l’autorité du pays d’origine. L’interdiction de renouveler les contrats n’est pas pour autant une cause de résiliation du contrat, et ce alors même qu’il est quasiment certain que la compagnie a certainement un problème de solvabilité. Dès lors, l’IA va devoir informer son client de la situation et du choix qui s’offre à lui entre faire souscrire un nouveau contrat et payer une seconde prime ou bien prendre le risque qu’en cas de sinistre la compagnie ne soit pas en mesure de supporter le sinistre. En cas de liquidation ou retrait d’agrément, l’IA devra conseiller à l’assuré de déclarer sa créance au liquidateur du pays d’origine de la compagnie. En outre, l’IA devra être très réactif afin de proposer une solution de remplacement s’il est en mesure de le faire. L’émergence de nouvelles compagnies avaient permis aux IA d’être en mesure de répondre aux besoins spécifiques de leurs assurés. La défaillance de ces compagnies étrangères va placer de nouveau les IA dans des situations où ils ne seront pas en mesure de répondre aux besoins d e leurs clients. En France, le recours au BCT permet en principe aux IA, à défaut de leur permettre de présenter des prix compétitifs, au moins d’être en mesure de proposer des solutions d’assurances à leurs clients pour certains risques dont l’assurance est obligatoire. Mais pour les autres risques…